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15 mai 2015

On voit rouge

A chaque match, les refrains sont éternels, les mêmes pour tous, quelle rengaine:

Fils de pute!
Filho da puto!
Va fan culo!
Picku materinu!
Jebem li ti majku!
Etc.*

Ces insultes, on les entend sur le terrain, tels des orgues de Barbarie qui enraillent l'air de leurs sons préfabriqués. Le pire dans tout ça: on s'y est presque habitué.

Ces quasi-onomatopées sont devenues aussi communes qu'une moto bruyante qui réveille un bébé dans un village retiré, des banalités en veux-tu en voilà, ou quand l'insulte insupportable devient quotidien, redondance; quand l'outrecuidant devient omniscient; quand l'horreur devient banalité.

A chaque week-end, le footballeur moyen y est confronté.

Impossible d'y échapper. A moins de rester sur le banc (qui pour une fois est un honneur).

Aux insultes, impossible d'y échapper. A moins de rester sur le banc (qui pour une fois est un honneur). 

Se faire insulter -- ou pire encore, sa mère -- est donc devenu routinier. Ainsi en est-il des sports de contact. Et chaque footballeur s'accordera à le dire.

Le problème, c'est lorsque l'on est puni pour ces "banalités".

Mardi dernier, Albino Bencivenga a vu rouge. Son tort? "Putain de sa mère!" a-t-il lancé, paroles en l'air, dans les deux sens du terme. Son protagoniste explique d'abord le sens premier: "bien sûr, je ne dois jamais dire ça. C'est sorti comme ça. Mais ça a mal été interprété." Donc oui, Albino a prononcé ces mots, après qu'un hors-jeu totalement inexistant ait été sifflé contre lui. Il a lancé ces mots comme il aurait pu dire ahh crotte ou ahhh flûte. Déplace? Oui. Punissable? Non. Jamais.

Paroles en l'air, seconde définition. Le Président Claude Meylan, sur footvaud: "Albino a utilisé une expression inappropriée, mais il ne l’a pas dirigée vers l’arbitre. Jamais! Il a lancé cette phrase au ciel et l’arbitre a cru qu’elle lui était destinée, ce qui est complètement faux. J’ai parlé à Albino, il a 37 ans et c’est le joueur le plus fair-play du monde. Il n’a jamais eu le moindre problème. Franchement, je le dis sans crainte et j’assume mes paroles: il ne mérite pas ça, surtout que, je le répète, à aucun moment il n’a dirigé ses paroles vers l’arbitre.".

L'arbitre entend donc ce qu'il veut, quand il le veut. Lui aussi est soumis aux pires insultes, mais ne voit que ce qu'il a envie de voir. Lorsqu'il sait qu'il est en tort, il laisse couler, courbe l'échine et encaisse, comme tous les joueurs.

Lorsqu'il sent que le contrôle du match lui échappe, il perd tout, y compris l'ouïe, même lorsque les "fils du pute" deviennent "je vais niquer ta mère" ou encore "je vais te traquer et te tuer". Oui, tout ça, nous l'avons déjà entendu sur les terrains. Mais l'arbitre n'ose pas. Sa sécurité est en jeu. Alors il fait mine de n'avoir rien entendu. Il passe, car trépasser pour du foot, non merci.

Parfois, l'arbitre fait mine de n'avoir rien entendu. Il passe, car trépasser pour du foot, non merci. 

Mardi dernier, Charles**, un adversaire du jour, a asséné l'inégalable "fils de pute" des dizaines de fois -- en fait, à chaque fois qu'on le découpait par ce qu'il était trop fort, allait trop vite. Mais lui est resté impuni, comme les centaines de joueurs qui ont répété l'insulte des centaines de fois. Nous ne jetons pas ici l'anathème sur Charles. Mais sur les interprétations des arbitres, qui se sentent visés, quand cela les chante seulement.

Albino a donc prononcé ses paroles en l'air, dans un moment d'égarement, de fin de match (88e), de début de fatigue, et de tension palpable (nous luttons contre la relégation). Seul hic, l'arbitre était à côté de lui, a pris pour lui, a pris sur lui de mettre rouge.

Comme il n'a pas mis rouge à Charles.

Comme des centaines d'arbitres n'auraient jamais mis de rouges à d'autres centaines de joueurs.

L'homme en noir, très bon jusque-là, a alors interprété. Sans certitude. Peut-être était-il fatigué à son tour, des examens le lendemain, une copine qui fricote à gauche ou qui ne répond pas aux WhatsApp?

Albino va payer pour les centaines de joueurs qui ont répété l'insulte des centaines de fois.

Zidane a pris trois matchs pour un unique coup de boule. Materazzi deux matchs pour une phrase anodine, répétée des milliers de fois.

Le Roi va payer pour une majorité de footballeurs. Lui fait pourtant partie de la minorité des beaux joueurs. 37 ans, meilleur buteur depuis des lustres, pas un tacle déplacé, rarement une parole malhonnête, un esthète que les hédonistes adorent, il a tout pour lui, le talent, l'altruisme et la quintessence du beau; il est de ces joueurs qui font lever les foules "ohhhh", "ahhhhh", "oh le cochon le but qu'il met!" voire "putain de sa mère la classe du mec", lorsqu'il entre dans la buvette silence se fait, on observe ses faits et gestes; lorsqu'il paie une tournée on se gêne d'accepter - on prendrait bien un peu de ses gènes a lui.

Le Roi Bencivenga, lorsqu'il paie une tournée, on se gêne d'accepter - on prendrait aussi un peu de ses gènes a lui. 

La seule chose qu'il lui manque, au Roi Bencivenga, c'est éventuellement la gueule de l'emploi, celle qui fait peur aux arbitres, celle qui les empêche d'être unanimes avec tout le monde. Peut-être est-il trop gentil. Peut-être est-ce là son seul défaut.

Dès samedi versus Bex, on se réjouit d'analyser les réactions de l'arbitre. Comment il interprétera les insultes qui immanquablement, viendront prendre place dans le jeu.

Quant à notre Roi, il n'est pas mort. Il reviendra, encore plus fort.

Mardi dernier à Aigle, oui, nous avons battu le leader. Mais nous avons perdu le nôtre.

*fautes d'orthographes possibles
**prénom d'emprunt



Red card?  Not.

Dura lex, sed lex

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